Kevin Escoffier : « Je ne lâche rien mais j’ai appris à me canaliser »

Kevin Escoffier tire le meilleur de PRB et se hisse depuis la tombée de la nuit dans le top 5 de ces 48 Heures Azimut. Kevin nous confiait son analyse de la course et du plateau avant le départ de Lorient. Rencontre
Sur les trois bords qui composent le triangle de 500 milles, lesquels sont favorables ou défavorables à un bateau comme PRB ?
« Le premier bord s’annonce comme une course de vitesse. Ça va partir par devant car le vent va monter petit à petit et ce sont les premiers qui en tireront les bénéfices. En plus, la brise au départ n’est pas très forte et les bateaux équipés de grands foils vont décoller plus tôt que PRB avec ses foils génération 2018. Ce sera plus favorable pour moi à la fin du second bord où le vent va mollir et surtout sur la remontée à Lorient au louvoyage où PRB est très performant. Au près, il y a forcément des choix stratégiques et du décalage entre les bateaux ce qui peut être propice à reprendre des milles.
A combien estimes-tu le retard que tu pourrais accuser au way point 1 distant de 143 milles ?
« Ce n’est pas facile à dire. Mais à ces allures, il faut s’attendre à un déficit d’1 à 2 nœuds de moyenne, c’est ce qu’on a pu mesurer aux entraînements de Port La Forêt. Quand le vent monte, les bateaux neufs saturent en vitesse et je reste dans le coup. Mais dans le petit medium de cet après-midi, ce sera plus dur. Mais ce n’est jamais fini car sur le second bord, les bateaux de devant vont rentrer dans la molle avant nous ce qui peut tasser la flotte. De toutes façons, il ne faut jamais lâcher et essayer de bien régater avec les bateaux autour de soi. »
Quel travail d’optimisation as-tu réalisé sur PRB pour essayer de combler ce déficit ?
J’ai travaillé sur le plan de voilure en modifiant la position de la cadène de J3 que l’on utilise soit dans le vent fort soit à l’intérieur d’une autre voile, comme un côtre. J’ai aussi modifié la quête du mât et le réglage de foils. J’ai accepté de perdre un peu de mon avantage au près pour combler mon déficit au reaching. Mais on reste dans de petits pourcentages de gain et ce n’est pas suffisant pour me remettre vraiment à niveau aux allures reines des nouveaux foilers. Mais encore une fois, les courses à la journée ou sur deux jours ne sont pas représentatives de la grande course pour laquelle on se prépare tous depuis 4 ans où la polyvalence de PRB sera un atout.
Avec les renforcements structurels que vous avez réalisé suite aux avaries de la Vendée Arctique, PRB a du prendre du poids...? A t-il perdu de sa superbe ?
On a remis du poids bien sur. Ça se compte en une bonne centaine de kilos tout compris. On a également renforcé le palier arrière de quille suite aux ennuis de certains sur la Transat Jacques Vabre. J’ai cassé une cloison arrière sur la VALS, on l’a réparé, mais PRB est toujours polyvalent et mes résultats en course montrent que l’on peut faire encore de belles choses avec ce bateau
N’est ce pas le risque pour toi ? Trop tirer sur PRB pour rester au contact de bateaux intrinsèquement plus rapides ?
C’est certain, c’est le risque ; Je me connais, j’ai fait de l’équipage où on tire sur les bateaux à 100%. J’aime ça et j’ai cette envie d’aller vite. Mais j’ai appris à me canaliser, j’ai travaillé sur ce sujet. Je me donne des critères de performance. Sur la VALS, je me suis parfois réfreiné, ce qui ne m’a pas empêché de casser donc tu vois, ce n’est pas simple. Cette recherche du bon niveau de curseur est valable pour tout le monde, un peu plus sans doute sur PRB qui a toujours eu cette réputation de fragilité et qui a été boosté avec ces foils en 2018. C’est à moi de l’intégrer. Sur le Vendée Globe, il va falloir faire de la vitesse moyenne et ne pas se laisser entraîner. Mais je pense qu’aujourd’hui, j’ai l’expérience technique pour savoir jauger jusqu’où ne pas aller trop loin. Mais c’est vrai que lâcher du lest est pour moi plutôt contre-nature... Alors, j’ai travaillé là dessus.
C’est une démarche solitaire ou tu t’es entouré dans ce domaine ?!
J’ai travaillé avec Alexis Landais, un ancien judoka qui est préparateur mental. C’est un vaste domaine à explorer. Je me sais capable d’aller faire ce type de course, je crois être dur au mal mais on a bien travaillé sur le fait d’accepter d’être un peu plus lent que les autres. Ca revient à trouver les bons critères pour se persuader que tu as le bon compromis. Oui, c’est une forme de maturité, d’apprentissage. C’est ce qu’on appelle l’expérience. To finish first, you have to finish ! comme disent les anglais.
Pour finir, que t’inspire l’Occitane en Provence qui a gagné les Runs. Le danger du moment ? La voie architecturale de demain ?
Un danger, non ! C’est génial qu’un nouvel architecte débarque en IMOCA. L’Occitane en Provence nous avait déjà fait mal au départ de la VALS et Armel ne fait que le découvrir, donc il a de la marge. C’est sans doute un bateau qui va faire grandir l’architecture et la classe. Mais est-ce qu’il aura été assez fiabilisé pour le Vendée Globe, on ne sait pas ? C’est ce qui fait la richesse de ces courses, il n’y a pas de certitude. L’expérience a une grande importance et on en finalement assez peu sur ces nouveaux bateaux où le delta de performances avec la génération précédente est considérable. Peu de foilers nouvelle génération ont navigué dans de la grosse brise sur la durée. Les foils tiendront-ils, les puits, les fonds de coque, l’usure des lashings... Ce ne sera pas un Vendée Globe simple. On attaque une zone d’ombre et on va apprendre par essai-erreur.
© Jean-Marie LIOT / defi Azimut