Armel Tripon : « On manque de repères, pas de potentiel »

Vainqueur des Runs Azimut mercredi, Armel Tripon a pris les commandes de la flotte trois heures après le départ sur le premier bord de reaching favorable à son IMOCA sur plans Manuard. Il nous confiait hier ses attentes et ses doutes, à la veille du départ des 48 heures.
Comment est né l’Occitane en Provence avec son nez rond et ses foils étonnants ? Pourquoi avoir fait différent finalement ?
« Il n’ y avait aucune volonté de se différencier pour se différencier. Le projet a réellement démarré en 2018 et lorsqu’on a vu sortir les bateaux au fur et à mesure, Apivia, Arkea Paprec et autres, on a été surpris de voir que personne ne suivait la voie que nous avions imaginée avec Sam Manuard. Ça fait quand même un moment que des Mini-Transat naviguent avec ces carènes et il n’y a pas de raison que ça ne marche pas en IMOCA. »
Leur jauge est moins bloquante...
« Oui mais regarde les Class 40, la jauge est aussi cadrée et ça n’a pas empêché les architectes de s’adapter. Une jauge, c’est fait pour être exploité, il y a toujours moyen de se couler à l’intérieur. Nous avions des convictions et le fait d’être seuls à explorer cette voie qui semblait très favorable aussi sur les VPP a été une surprise agréable. »
Et quel regard portent les autres sur ton bateau maintenant qu’on l’a vu au départ de la Vendée Arctique et hier où vous décrochez le meilleur chrono ?
« Le projet a été bien accueilli je trouve. Le bateau est basé à la Trinité-sur-mer, donc nous sommes un peu isolés dans notre coin. Mais les gens du milieu sont plutôt bienveillants. Il y a une forme de sympathie pour la différence, c’est plutôt sympa ! »
Si l’on prend le triangle des 48 heures qui explore toutes les allures, sur quel bord l’avantage de cette carène est-il le plus flagrant ?
« Du reaching au portant, les VPP sont plus favorables à la carène type « scow » de l’Occitane en Provence. Donc sur le premier bord vers le way point 1 que l’on devrait rejoindre à la tombée de la nuit, ça devrait bien se passer et tout le monde sera au taquet. En revanche, au près c’est moins bon car le bateau perd de la longueur de flottaison. On n’a pas vraiment de repère aujourd’hui par rapport aux autres. La remontée vers Lorient va être justement très intéressante avec du louvoyage et du vent de plus en plus faible. Le portant VMG de descente dans les petits airs n’est pas non plus très bon pour les scows et il y en a un peu sur la fin du second bord.... Ca va être intéressant car je n’ai pas non plus beaucoup de repères sur le poids du bateau par rapport aux autres"
Tu fais partie de ceux qui embarquent un grand spi pour justement combler ce petit trou ?
"Oui, j’ai un spi en effet. Pour être franc, on n’a pas eu le temps de faire beaucoup de développement sur les voiles. On dispose d'un jeu de voiles de base qui était bien travaillé avec North, mais on n’a pas eu le temps d’aller plus loin. Mais c’est vrai que ça reste difficile de se passer de spi sur un Vendée Globe. Il ne sert pas beaucoup, mais il peut vraiment te faire gagner 10-15° d’angle de descente à des moments clés, ça peut être déterminant."
Une journée comme hier, ça rassure ?
" Oui car on se savait rapides sur de longs bords dans la mer mais tenir des moyennes élevées sur de petits bords en exploitant le bateau au maximum, on n’avait jamais vraiment testé ça face à la concurrence. Donc, ça permet de se situer et de prendre confiance.
Quel parallèle fais-tu entre ce projet et ton passage express par la Classe Multi50 qui se solde par ta victoire dans la Route du Rhum ?
"Je n’aurai pas du tout le même niveau de préparation et de connaissance du bateau au départ du Vendée Globe. Tout reste ouvert bien sûr, mais je pars d’abord pour terminer. C’est à moi de trouver dans ma façon de naviguer le bon équilibre. Après, il y a plein de similitudes avec le multicoque. Peut-être encore plus sur ce bateau avec ses foils déportés ..."
Quelle est l’envergure totale de tes foils déployés ?
"Je n'ai pas le droit de le dire. Suffisante ! "
Et tu peux les rentrer complètement ?
" Non, mais du fait de leur implantation sur le livet, ils ne traînent pas dans l’eau dans le petit temps et dans la grosse brise également. Je pense qu’il y a plein de situations où on sera content de ne pas partir à 25 ou 30 nœuds en surf, de pouvoir calmer le jeu sans avoir quelque chose qui traîne sous la surface. 17-20 nœuds parfois, c’est bien suffisant ! C’est pour ça que la navigation sur ces IMOCA ressemble au multicoque. Tu ne peux pas te permettre de naviguer surtoilé en solitaire sur un multicoque, tu adaptes ta voilure à la force de la rafale. Là, même si tu n'as pas le risque de chavirage, tu ne vas pas faire non plus 70 jours de mer écoute à la main pour réguler le vol ".
Les ennuis de structure de la Vendée Arctique sont derrière toi ?
"Tout le fond du bateau a été renforcé. On était allé trop loin dans l’économie de poids tous azimuts, notamment parce que ces carènes de scow supposent de rester les plus légères possibles. On a joué, on a perdu ! Maintenant, le bateau est bien renforcé. Les bastaques, outriggers, foils sont équipés de capteurs pour prévenir les surcharges. Hier, les capteurs d’outriggers sonnaient par exemple. Sur mer plate comme ça ce n’est pas très grave, mais en dynamique en solo, c’est quand même une bonne indication pour savoir où placer le curseur."