Interview de Tanguy Le Turquais : « L’IMOCA réunit tout ce que j’aime »

C’est l’un des petits nouveaux de la classe IMOCA. Tanguy Le Turquais, dix ans de course au large au compteur, a racheté au début de l’année un bateau à dérives de 2006. À 33 ans, ce skipper, connu aussi pour être le mari de Clarisse Crémer, met à son tour le cap sur le Vendée Globe. À la barre d’un projet à taille humaine, il ambitionne de porter haut les couleurs de Lazare*, une association investie auprès de celles et ceux qui ont connu les galères de la rue. Rencontre avec ce skipper-entrepreneur à l’enthousiasme communicatif…

Quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

« Cela fait onze ans que je fais de la course au large ; en Mini 6.50 d’abord, puis pendant cinq ans sur le circuit Figaro. J’ai toujours rêvé de faire de l’IMOCA. J’ai acheté le bateau en janvier dernier, mais je l’ai loué pour les courses d’avant saison. J’ai passé les sept derniers mois derrière l’ordinateur pour trouver des sous. J’en étais arrivé à un stade où je me demandais même pourquoi j’en cherchais. Et heureusement, j’ai eu ma qualification pour la Route du Rhum à faire. Je suis parti fin juillet. Je n’avais encore jamais navigué en solitaire, ou même passé cinq jours d’affilée à bord d’un IMOCA. Mais à aucun moment je ne me suis senti en difficulté, alors que je n’ai jamais eu moins de 25 nœuds sur les 1200 milles du parcours. Un vrai moment de bonheur à bord de mon bateau !  »

Qu’est-ce qui te plaît autant en IMOCA ?

« L’IMOCA réunit un peu tout ce que j’aime. Le large et le technique. À la base je suis mécanicien-marin, et je retrouve le plaisir de cette dimension-là à bord d’un bateau par essence complexe. Par ailleurs, chaque manœuvre demande beaucoup de méthode, ce qui correspond bien à mon petit côté maniaque et organisé. Sans compter la vitesse, il faut bien avouer que c’est plutôt grisant ! Aujourd'hui tous les indicateurs sont au vert, même si la marche est haute et que j’ai une grande marge d’apprentissage devant moi. J’ai bien travaillé le côté régate sur le circuit Figaro. Et pour appréhender la technique, je suis bien entouré. J’ai une petite équipe à mes côtés : des jeunes qui, tout comme moi, n’ont pas forcément une grosse expérience de l’IMOCA. Mais tous sont compétents et se posent les bonnes questions. Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas ! »

Et ton bateau ?

« Il s’agit d’un plan Finot-Conq construit pour Marc Thiercelin. C’est le bateau du film En Solitaire, avec lequel Eric Bellion, puis Damien Seguin - qui a fait un chantier d’optimisation d’envergure -, ont tour à tour bouclé le Vendée Globe. Il ne me fera probablement pas briller sur les transats, il n’est pas typé pour. Mais c’est clairement une bonne machine pour courir autour du monde. C’est un des plus performants au portant VMG qui peut tenir la cadence face aux foilers. J’ai la conviction que si je le respecte, il me fera faire la boucle. Cette année, je ne fais pas de travaux. Ma priorité reste de le fiabiliser pour disputer la Route du Rhum. Plus tard, j’apporterai peut-être des évolutions, mais je ne mettrai jamais de foils, c’est un trop gros investissement pour un gain de performance trop limité. »

Tu te distingues aussi à travers un projet original qui met en lumière les sans-abris ?

« Il me tenait à cœur de ne pas juste venir faire de l’IMOCA, au risque de me retrouver un peu dans un rôle d’homme-sandwich. Le projet de Sam Davies avec Initiatives Cœur m’a toujours beaucoup inspiré. J’avais aussi très envie d’apporter une dimension sociétale autour de l’association Lazare* dont je suis bénévole depuis quelques années. Pour ce projet, je me transforme un peu en marin-entrepreneur. Je gère un peu tout autour de la partie sportive : la recherche de sponsors, la communication, le marketing, ou le management… Je fais clairement partie des « petits poucets » de la classe à laquelle je viens d’adhérer, mais cela me va très bien ! »

Et bientôt une toute première course à domicile…

« Pour la première fois, on verra les couleurs de Lazare sur une ligne de départ. Le Défi Azimut marquera la concrétisation du projet. Mais plus qu’un baptême du feu en course, je le vois aussi comme un premier test grandeur nature pour ma petite équipe. On pourra se roder les uns les autres. Par ailleurs, en réunissant tous les ans l’écosystème à Lorient, ce rendez-vous permet aux skippers de rencontrer de futurs partenaires. À ce titre, je le bénis un peu ! Au départ de la rade de Lorient, on jouera effectivement à domicile, puisque Locmiquélic, juste en face, sera bientôt le port d’attache officiel de mon bateau et du projet. Ce qui ne gâche rien ! »

* L’activité de Lazare consiste à mettre en place des colocations entre d’anciens sans-abris et des jeunes actifs. L’association ouvrira bientôt de nouvelles maisons à Nantes, Bordeaux, et Lorient.